top of page

P O L I P H I L E | 2016

ATARAXIE
Vénus sortant du bain
Vénus de Milo
Gaulois mourant

Abstract  

Le Songe de Poliphile est le premier roman où est exprimée la beauté évoquée par la ruine. Dedans, Poliphile à la recherche de celle qu’il aime, Polia, réalise un voyage onirique qui le mènera jusqu’à la mystérieuse île de Cythère. Au cours de son périple, il traversa notamment une merveilleuse forêt jonchée de vestiges antiques. Dans cette série de photographie je me suis ainsi posé la question de ce que serait le voyage de Poliphile si son aventure l’avait amené à traverser des paysages de friches industrielles. À partir d’images récupérées lors d’explorations urbaines, j’ai ainsi créé des photographies où se mélangent des sculptures antiques et des éléments tirés de friches urbaines.

Analyse 

Cette série de huit photographies se trouve dans le continuum de mes réflexions sur la ruine imaginaire et la ruine rêvée, et dans le prolongement des romans archéologiques romantiques et symbolistes, dans lesquels les ruines reviennent à la vie. Son titre, P O L I P H I L E, fait quant à lui référence à l’ouvrage de Francesco Colonna, Hypnerotomachia Poliphili ou Le Songe de Poliphile1, qui est le premier roman où est exprimé toute la beauté évoquée par la ruine. Dedans, Poliphile à la recherche de celle qu’il aime, Polia, réalise un voyage qui le mènera jusqu’à l’île de Cythère. Au cours de son périple, il traversa notamment une merveilleuse forêt jonchée de vestiges antiques où il fit les rencontres fortuites de nymphes et de muses. Dans cette série, je me suis ainsi posé la question de ce que serait le voyage de Poliphile si son aventure l’avait amené à traverser des paysages de ruines contemporaines. 

 

Chacune des huit images composant la série est un photomontage, ou plutôt « collage numérique », qui mêle plusieurs types de vestiges, à savoir des ruines urbaines actuelles (friches industrielles ; ancien hôpital ; caserne militaire ; etc.) et des sculptures antiques grecques et romaines. Les paysages de ruines ont été recomposés et créés de toutes pièces à partir d’éléments récupérés par la photographie dans divers sites à travers le monde. À titre d’exemple, un mur pris dans un hangar en France est juxtaposé sur une salle photographiée au Cambodge, auquel vient enfin se rajouter de la végétation capturée encore ailleurs. Contrairement aux vues extérieures de ruines embrassant l’architecture dans son ensemble telles que pouvaient nous en offrir des peintres comme Poussin, Robert, Friedrich ou encore Carus, ici, c’est une vision de l’intérieur du bâtiment qui est privilégiée. Dans ces photographies, il n’y a pas cette sensation d’immensité évoquée par la peinture des premiers, mais cependant elles nous offrent des scènes plus intimes, dans lesquelles le spectateur peut apprécier les plus infimes détails de l’édifice. Sous nos yeux se dévoilent ainsi des murs troués, effrités, poreux, que les fissures viennent morceler, et où la moisissure crée de sublimes dégradés de couleurs offrant ainsi cette beauté si particulière que seule la vieillesse sait révéler2. Sur ces parois sont aussi quelques végétations faites de lierres, de fougères, et autres herbes sauvages, qui enveloppent ces murs déjà recouverts de graffitis, ces peintures murales typiquement caractéristiques des ruines contemporaines. Les sculptures, quant à elles, sont tirées d’une série de photographies ayant servi à l’enseignement de l’histoire de l’art à la fin du XIXe siècle3. Perdues dans ces décors de ruines aux couleurs vives, elles offrent une présence inattendue et impromptue, plongeant ainsi le spectateur dans un univers à la fois irréel, onirique et poétique. 

 

Dans ces paysages de ruines contemporaines, l’insertion de chefs-d’œuvre de la sculpture antique grecque et romaine met en place un anachronisme qui pourrait  s’apparenter d’un point de vu formel à celui développé par les artistes contemporains Alexey Kondakov (2 Realty, 2014.) et Marko Liver (Dorerama, 2015.). Dans leurs œuvres, ils récupèrent les figures peintes de tableaux de maîtres et les insèrent dans des scènes de la vie moderne. Bien sûr ces artistes et moi même ne faisons que perpétuer une tradition de longue date. Nous ne sommes en effet pas les premiers à avoir expérimenté ce type de détournements : un artiste comme Marcel Duchamp s’était amusé à travestir la Joconde en lui greffant une moustache (L.H.O.O.Q., 1919), Andy Warhol de son coté n’avait pas hésité à transformer la célèbre Vénus de Botticelli (Details of Renaissance Paintings (Sandro Botticelli, Birth of Venus, 1482), 1984.), et enfin Cyprien Gaillard, artiste montant de la scène artistique internationale, récupéra, comme Max Ernst pu le faire, des gravures datant du siècle précédent, et y inséra cette fois-ci des immeubles datant du XXe siècle (Belief in the Age of Disbelief, 2005). Dans tous les cas, cette démarche est une manière de démocratiser et désacraliser les grands chefs-d’œuvre, tout en rendant hommage à leur côté intemporel.

 

Ceci étant, l’anachronisme présent dans P O L I P H I L E me permis par ailleurs de découvrir un autre point essentiel qui allait réorienter mes recherches. En effet, ces images dans lesquelles des vestiges d’époques différentes sont rassemblés, condensant ainsi toutes strates du temps en un même endroit, me remémorèrent ces artistes qui développèrent ces lieux fictifs où passé, présent et futur forment un tout uni. Je rencontrai ainsi Robert Smithson4 et sa notion d’entropie parfaitement mise en scène dans son texte A Tour of the Monuments of Passaic ; mais encore, le fameux Cyprien Gaillard, lui aussi spécialiste des ruines, qui perpétua cette même notion dans son œuvre Geographical analogies5, en y greffant en plus celle d’analogie formelle. Et finalement, en remontant un peu plus dans le passé, mon chemin m’amena cette fois-ci jusqu’aux surréalistes, avec leurs collages et leurs recherches sur les rêves ayant eu pour point de départ la fameuse réflexion de Sigmund Freud « l’inconscient ignore le temps ». 

 

    Freud s’était d’ailleurs voué d’une véritable passion pour l’archéologie dans laquelle il voyait une métaphore de la méthode psychanalytique. Sa proximité et son affection pour cette discipline étaient ainsi transparues lorsqu’il avait publié sa célèbre analyse, Le délire et les rêves dans la Gradiva de Wilhelm Jensen6. Dans cet ouvrage les ruines, avec ses chambres funéraires, ses temples, ses amphithéâtres et ses nécropoles, apparaissent comme étant des « subdivisions archétypales »7 d’une architecture mentale laissant peu à peu échapper le refoulé, symbolisé par Gradiva ou Zoé, son pendant réel. Mêlant ces nouvelles informations à mes réflexions sur P O L I P H I L E, je me demandai ainsi si cette œuvre, avec ses vues variées de salles et de chambres en ruines, ne dévoilerait pas en images les multiples compartiments de mon esprit, comme une fenêtre ouverte sur ma vie intérieure, et serait de fait une métaphore de ma psyché. 

[1] COLONNA Francesco [traduit par Martin Jean], Le songe de Poliphile, Paris, La salamandre, 1994. (1ère éd. : Hypnerotomachia Poliphili, Venise, Alde Manuce, 1499.)

[2] À ce sujet, l’empereur et philosophe Marc-Aurèle observait que « dans l’olive mûre qu’on laisse sur l’arbre, ce sont justement les approches de la pourriture qui donnent au fruit une beauté toute spéciale » (Marc-Aurèle, Pensées, III, 2, texte établi et traduit par A. Puech, Paris, Les belles Lettres, 1939.). 

[3] Voici le seul travail universitaire ayant été réalisé sur cette série d’images jusqu’à présent : GARGANETTE Pierre-Clément, Les photographies d’antiques d’Adolphe Giraudon dans l’enseignement de Pierre Paris, un instrument dans la création d’un imaginaire national, Travaux universitaires sous la direction de Marion Lagrange, Université Montaigne, 2015. 

Ce mémoire d’histoire de l’art avait pour objet d’étude cette série de photographies documentaires ayant servi à l’enseignement de l’histoire de l’art entre le dernier quart du XIXe siècle et le premier quart du XXe siècle. Longtemps tombée dans l’oubli, cette série d’images a ressurgi des fonds d’archives du Musée d’Aquitaine où elle était conservée, pour aujourd’hui faire l’objet d’une exposition dans le cadre d’une campagne sur la valorisation du patrimoine universitaire bordelais. Cette exposition a été organisé entre 2015 et 2016 par le Master professionnel ROMAP (Régie des œuvres et médiation de l’architecture et du patrimoine) sous la direction de Marion Lagrange. 

[4] Il développe et met en scène cette théorie dans ses textes : SMITHSON Robert, « A Tour of the Monuments of Passaic, New Jersey (1967) », in Robert Smithson. The Collected Writtings, édité par Jack Flam, University of California Press, 1996, p 68-74 ; MAVRIDORAKIS V. (dir.), Art et science-fiction : La Ballard Connection, Genève, Mamco, 2011, p. 207-215.

Mais aussi : SMITHSON Robert, « Entropy and the new Monuments (1966) », éd. Jack Flam, op. cit., p. 10-23, Trad. Française, « L’entropie et les nouveaux monuments », in Art and science-fiction, op. cit., p. 179-196. 

[5] WOLFS Rein, Cyprien Gaillard, Geographical Analogies, ed. par Florence Derieux,  Susanne Gaensheimer, Adam Szymczyk, Rein Wolfs, 2010. 

[6]  FREUD Sigmund, Le délire et les  rêves dans la Gradiva de Wilhelm Jensen [1909], Paris, Gallimard, 1986. 

[7] « La louche fascination de l’irrévocable » dans DESHOULIÈRES Valérie et VACHER Pascal, La mémoire en ruines : le modèle archéologique dans l'imaginaire moderne et contemporain, Clermont-Ferrand, Presse Universitaire Blaise Pascal, 2000, p.6.

bottom of page