La Ruine Rêvée | 2016
C’est durant une journée d’automne 2008 que pour la première fois je visite un quartier en friche aux abords de Bordeaux. À l’époque, zone de no man’s land interdite au public, les bâtiments en ruines de cet ancien quartier militaire continuaient secrètement à abriter des échanges commerciaux illégaux. La journée, les graffeurs peignaient sur les grands murs offerts par les vieux hangars désaffectés, la nuit, les SDF s’évadaient de la ville pour venir se réfugier dans les recoins sombres du plus grand immeuble du site. Laissés à l’abandon, le sol, les murs, les toits étaient en état de décrépitude, les structures s’affaissaient, le béton se descellait, la végétation s’engouffrant dévorait peu à peu les corps métalliques de ces architectures décharnées. Habituellement dissimulés, quel plaisir de pouvoir apprécier des agencements architectoniques, des lignes de forces et des squelettes de ces bâtiments ! Sur le qui-vive, à chaque instant je m’attendais à l’effondrement des restes chancelant des ces structures autrefois robustes. Risquée, l’escapade dans ce domaine fantastique m’éveillais un trouble plaisir mêlé de crainte ; le sentiment d’être étrangement petit dans cet univers où la civilisation n’a plus aucune emprise et où seule la force du temps agit sur le paysage. Au soir, sous le ciel bleu orangé d’un soleil couchant, l’ombre et la lumière magnifiaient l’ossature métallique des architectures acéphales. Assis calmement sur les débris d’une paroi écroulée, je me laissais bercer jusqu’à la nuit par l’écho lointain des cris de la ville, et, plongé dans de délicieuses rêveries, je me sentais hors du monde. Aujourd’hui, quand perdu dans mes souvenirs je songe à l’émotion et au bien être que ces ruines m’avaient suscitées, je ne peux m’empêcher de ressentir une certaine mélancolie.