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La réappropriation d'un Blockhaus, sculpture participative | 2016

Abstract

Petit, en vacances, mes amis et moi ne cessions de jouer sur les blockhaus en bas de la Dune du Pyla. À l’intérieur leurs couloirs sinueux étaient un terrain de jeux idéal pour quelques parties de cache-cache. Plus tard ce bâtiment est devenu un endroit où nous nous retrouvions pour regarder le coucher de soleil, boire une bière, et à l’occasion, armés de bombes de peinture, habiller ses grands pans de murs froids de couleurs chatoyantes. J’ai ainsi compris qu’au fil des années les Blauckhaus avaient peu à peu perdu leur valeur guerrière et gagné une nouvelle identité.

Ici, en décorant cette sculpture, c’est précisément cette réappropriation que le public de la soirée à permis d’exprimer.

Analyse 

La réappropriation d’un blockhaus est une œuvre participative réalisée à l’occasion de la soirée d’inauguration pour l’Ambassade des communs1. Mise en abîme de ce projet, cette œuvre qui n’exista que dans le cadre de cet évènement avait pour vocation de montrer que grâce à l’action des gens, il est possible d’offrir une nouvelle identité et un nouveau devenir à une architecture, à un lieu.

Mêlée à ma réflexion sur le thème des ruines, cette installation eut pour objet central une sculpture dont la forme découlait de l’observation des blockhaus – en particulier ceux conservés entre les côtes girondine et landaise. Considéré pendant longtemps comme « l’édifice de l’abomination »2 rappelant la soldatesque allemande, le blockhaus semble aujourd’hui s’être quelque peu libéré de cette image, et est dorénavant réemployé en bars, en restaurants et même en musées3. Outre le temps qui eut un rôle certain dans l’acceptation de ces architectures, les graffeurs, j’en suis sûr, jouèrent eux aussi un rôle considérable dans ce processus. En effet, en décorant ces grands pans de murs froids de couleurs chatoyantes, ils permirent aux bunkers d’obtenir une nouvelle apparence et contribuèrent ainsi à accélérer ce phénomène d’intégration et de changement d’identité. C’est précisément cette réappropriation qui est mis en image dans le cadre de cette œuvre participative.

Placée au milieu de la pièce sur un monticule de sable, cette sculpture, masse compacte sombre de forme parallélépipédique à demi sortie du sol, semble être un cercueil4 s’enfonçant dans des sables mouvant. Ce monolithe noir ne garde presque rien du blockhaus dont il découle : réalisé en polystyrène expansé recouvert de fibre de verre et d’une fine couche de résine époxy, il est fragile et, contrairement aux bunkers, sa surface reflète la lumière comme un miroir. Ici, plus aucune fente de visée ni de meurtrière ; toutes les caractéristique guerrières du bâtiment sont effacées. Juste à côté, sur le sol, étaient posés des feutres de plusieurs couleurs permettant aux spectateurs de dessiner ce qu’ils désiraient. Ainsi, à l’instar des blockhaus qui virent leur valeur guerrière s’amoindrir au fur et à mesure que leurs parois tristes et grisâtres furent décorées, ici, durant la soirée entière, le monolithe noir gagna à chaque nouveau dessin une nouvelle apparence, une nouvelle identité, et pour ainsi dire une nouvelle vie. En outre, La réappropriation d’un blockhaus s’inscrit de fait dans la droite lignée d’une œuvre comme la maison blockhaus de Jean-Pierre Reynaud. En effet, dans cette œuvre, l’artiste aspirant à « privilégier le rêve »dans son architecture, détourne la structure défensive de sa fonction première en gommant ses signes extérieurs d’agressivité. En délaissant sa fonction initiale, le bâtiment quitte la réalité dans laquelle il existait pour pénétrer dans celle de l’artiste, avec son imaginaire, ses aspirations, et surtout ses rêves. Passé par l’interprétation de l’artiste le blockhaus a perdu sa fonction guerrière, et s’est transformée en un nouvel objet, une architecture rêvée. Puisqu’il est une démarche similaire dans le cas La réappropriation d’un blockhaus, la sculpture issue des bunkers donnerait ainsi l’image d’une ruine imaginaire, d’une ruine rêvée.

 

[1] Le projet de L’ambassade des communs : partant du constat que la Maison des Arts de l’Université Michel Montaigne n’était souvent qu’un lieu de passage où enseignants et étudiants des différentes filières se croisaient sans forcément se rencontrer, un groupe bénéficiaire du dispositif Nouveaux Commanditaire, avec l’aide précieuse de l’association Pointdefuite et de la Fondation de France, a invité l’artiste Claire Dehove afin de réinventer cet espace, ce territoire, et plus largement les modes de vie autour de ce lieu emblématique du domaine universitaire girondin.

[2] VIRILIO Paul, Bunker Archéologie, étude sur l’espace militaire européen de la Seconde Guerre mondiale, éd. CCI, 1975. Rééd. Galilée, 2008, p. 59.

[3] Je pense ici à la base sous-marine de Bordeaux qui fut réemployée en musée. Bien qu’elle ne soit pas un bunker à proprement parler, sa forme, sa fonction première, et son statut d’architecture issue de la seconde guerre mondiale, la rapproche inévitablement des blockhaus et autres structures architecturales défensives découlant des guerres du XXe siècle.

[4] Cette référence au monde funéraire ne va pas sans rappeler les considérations Paul Virilio dans Bunker Archéologie publié en 1975, alors qu’il comparait les bunkers à des « tombes étrusques ».

VIRILIO Paul, Bunker Archéologie. étude sur l’espace militaire européen de la Seconde Guerre mondiale, éd. CCI, 1975. Rééd. Galilée, 2008, p. 16.

[5] REYNAUD Jean-Pierre, La Maison [exposition au CAPC, Bordeaux], Bordeaux, Musée d’art contemporain, 1993.

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